Enquête au coeur de #Booktok : un hashtag qui divise ?

Bonjour tout le monde ! Aujourd'hui, nous allons décortiquer ensemble un sujet qui fait notamment parler dans les médias : #Booktok.

Après une première année de Master en Communication, j'ai eu l'opportunité de réaliser mon mémoire universitaire sur #Booktok. Plus précisément, je me suis intéressée à comprendre cet hashtag et pourquoi il attirait tant les maisons d'édition dans le cadre de leur communication.

A travers ce travail de recherche, je me suis posée la question suivante : De quelles manières les maisons d’édition, spécialisées en romance ou en littérature jeunesse, communiquent-elles sur TikTok via l’hashtag Booktok, notamment avec la collaboration des Booktokers alors que #Booktok est sujet à de nombreuses critiques, aussi bien externes qu'internes à la communauté ?

L'idée ici n'est pas d'épiloguer pendant 150 pages sur la question, comme j'ai pu le faire, mais de présenter les points majeurs que j'ai pu relever. Bien évidemment, pour des questions de confidentialité, aucun de mes enquêtés, ni maison d'édition avec lesquelles j'ai pu m'entretenir ne seront mentionnés. Ces entretiens ont été établis dans un cadre universitaire et ne sortiront pas de ce cadre. J'en profite pour remercier encore les personnes qui ont pris le temps de répondre à mes questions et de nourrir ce travail de recherches.

Assez de blabla, passons aux choses sérieuses.

Plaçons le contexte : définissons cet hashtag !

Le terme "Booktok" provient de la contraction entre deux termes : Book, pour livre, et Tok, pour TikTok. Il renvoie à la communauté de lecteurs et lectrices présents sur l'application TikTok et qui y partagent leur passion à travers des vidéos, et plus récemment, des carrousels de photos. Ces booktokers débordent d'imagination pour présenter leurs derniers coups de cœur ou le dernier livre qu'ils ont détesté. Loin de présenter seulement leurs lectures, les Booktokers font entrer leurs abonnés dans leur intimité en leur présentant leur chambre et leurs bibliothèques, en leur partageant leur routine du soir, ou en les amenant à travers des événements littéraires. 

"Succès Booktok" : de quoi parlons-nous ? 

Captive, Mille Baiser pour un garçon, le Prince Cruel, Jamais Plus, Et ils meurent tous les deux à la fin... Vous n'avez peut-être jamais lu ces livres mais vous en avez sûrement entendu parler. Du jour au lendemain, des ventes qui explosent en librairie, au point de créer des ruptures de stock pour certains. La raison ? Booktok. Tout peut parfois partir d'une seule vidéo. En effet, il peut suffir d'une vidéo pour vendre et faire parler. 

Mais pourquoi ces livres-ci en particulier ? Ces ouvrages font passer le lecteur par de multiples émotions grâce à des histoires fortes. En effet, fondamentalement, un lecteur lit un ouvrage car il veut ressentir des émotions : 

« Les livres sont bien souvent vecteurs d’émotions. Si les personnes aiment se plonger dans un roman, peu importe sa catégorie, c’est pour éprouver du plaisir, du rire, de la peur, du suspense, du savoir et parfois de la tristesse. »*

C'est pourquoi, on peut retrouver des vidéos avec des Booktokers en larmes suite à leurs lectures ou jetant leurs livres contre des murs. Loin d'être ridicule comme le peuvent penser certains médias, ils permettent de donner envie aux lecteurs de lire ce livre, car l'émotion est vecteur d'achat. Par conséquent, Booktok ne se contente pas des dernières nouveautés mais ressort du placard des livres de fonds : la date de parution n'a que peu d'importance finalement et c'est ce qu'on peut voir avec les livres que j'ai cités. Et ils meurent à la fin, publié en 2017, est revenu en force sur le devant de la scène en 2020.

De plus, l'algorithme joue dans la mise en avant de ces livres en proposant des contenus, qui correspondent à ce que les utilisateurs aiment et commentent. Par conséquent, les Booktokers peuvent rapidement gagner un nombre conséquent d'abonnés avec une seule et unique vidéo. Cela permet également de créer un réel sentiment de communauté : les lecteurs ont la sensation d'être entre amis et considèrent pour certains leurs abonnés comme tels.

Phénomène, oui, mais nouveauté, pas vraiment

J'ai pu voir à travers de nombreux articles que les journalistes parlaient de Booktok comme un phénomène nouveau. Avez-vous oublié Bookstagram et Booktube ? Booktok n'est pas la première communauté sur laquelle les maisons d'édition ont capitalisé. Alors, oui, au vu des chiffres et des foules que déplacent le hashtag en Salon, comme au Festival du Livre de Paris, où les mouvements de foule ont rythmé la venue des stars du réseau, il est clair que Booktok est un phénomène. En réalité, il n'est pas nouveau par rapport à Bookstagram et Booktube. Cependant, les effets qu'il provoque le sont. 

L'acte d'achat est immédiat : des vidéos de quelques secondes à peine suffisent. Les Booktokers sont inventifs et n'ont parfois même pas besoin de donner leurs avis pour faire vendre : une citation, un résumé, un aesthetics, et le tour est joué. En effet, la confiance est primordiale entre les Booktokers et leurs abonnés. Grâce à cet effet de communauté, les Booktokers deviennent des références pour les lecteurs et c'est grâce à cette confiance, que se base leur légitimité. En effet, on peut voir sous certaines vidéos de Booktokers que certains lecteurs se refusent à lire un lire, si leur Booktoker préféré ne l'a pas aimé. Ce sentiment n'a été que renforcé par le confinement et l'isolement des jeunes. 

Par conséquent, on se rend compte que loin d'être de simples applications, ces plateformes sont en réalité un vrai marché et une économie à faire tourner. Certains influenceurs se lancent en tant qu'auto-entrepreneur et vivent de cette passion. Alors qu'à l'origine, certains se lançaient sur Booktok pour partager leur passion littéraire et faire découvrir de nouveaux livres à d'autres. Aujourd'hui, il est clair que Booktok ouvre des portes : c'est un bon moyen pour se créer un réseau et rentrer dans le milieu si fermé que peut être l'édition.

Les maisons d'édition sur TikTok : quels sont les enjeux ?

En effet, dans un contexte de surproduction des ouvrages et une concentration des acteurs, les maisons d'édition doivent sortir du lot pour pouvoir donner la visibilité nécessaire à leurs nouveautés. De quelles manières les lecteurs peuvent-ils faire un choix parmi le nombre incalculable d'ouvrages qui paraissent, encore plus à la rentrée littéraire ? Les avis des lecteurs leur permettent de faire du tri dans cette quantité de choix de lecture. Il faut ajouter à cela que les lecteurs ne se retrouvent pas forcément dans les articles littéraires des médias. Il est clair que Booktok a permis de mettre en lumière des genres tels que la jeunesse ou la romance, pourtant jugés le plus souvent sur la place publique. 

Les maisons d'édition se lancent de plus en plus sur TikTok pour communiquer sur la sortie de leurs ouvrages, mais pas seulement. Elles y reprennent les codes de TikTok : citation, résumé, recommandations par genres de livres, etc. et jouent sur l'humour. Cette communication s'éloigne de ce que peut faire habituellement les maisons d'édition sur les autres plateformes. Cependant, TikTok se base notamment sur le divertissement, la spontanéité et l'authenticité et les maisons d'édition ne peuvent y échapper pour communiquer dessus. La communication sur TikTok se fait donc de jour en jour, les tendances changent vite : il est donc impossible de trop prévoir à l'avance. 

On pourrait penser que réaliser des TikTok est une activité simple : en quelques secondes à peine la vidéo est tournée. Mais c'est un travail à part entière, qui nécessite des ressources humaines pour filmer mais aussi, un budget pour créer et sponsoriser. C'est pourquoi, les stratégies des maisons d'édition varient et certains reprennent du contenu d'autres plateformes pour publier sur TikTok pour gagner du temps. De plus, les résultats sur TikTok restent variables malgré l'investissement que demande la plateforme. Il ne faut donc pas que compter sur TikTok pour communiquer. 

Les objectifs selon les maisons d'édition ne vont pas tous être les mêmes : gagner en visibilité et en notoriété, ancrer son identité de marque, former une communauté intéressée par les livres de la maison d'édition, proposer un contenu plus divertissant que les autres plateformes, recruter des nouveaux partenaires, faire de la veille, humaniser la maison d'édition. En effet, les communicants donnent de leur personne pour se mettre eux aussi en avant en vidéo pour que les lecteurs puissent avoir un point de repère. L'idée est de casser ce cadre solennel et de créer un dialogue non pas entre une marque et un abonné, mais entre une personne et un abonné. Comme j'ai pu le voir sur la plateforme, les maisons d'édition n'hésitent pas à utiliser le second degrés pour répondre avec humour aux questions de leurs lecteurs.

Les lecteurs sont à l'initiative des "succès Booktok". Le bouche à oreille permet de faire parler du livre même des mois après, car les nouveaux lecteurs donnent envie à d'autres de le lire également. Cela permet aux maisons d'édition de toucher des nouveaux lecteurs, qui ne sont pas touchés par leur communication.

Cependant, toutes les maisons d'édition n'ont pas leur place sur la plateforme car le public cible n'est pas présent tout comme le genre de la maison d'édition. Malgré tout, les maisons d'édition ont bien conscience du potentiel de cette plateforme.

Les Booktokers : des ambassadeurs des maisons d'édition :

Les Booktokers ont un rôle dans cette communication, puisqu'il est possible sur TikTok de sponsoriser le contenu des partenaires. En effet, les lecteurs ont plus confiance dans les recommandations d'un Booktoker, qu'une maison d'édition. De plus, en entrant dans la vie quotidienne de leurs Booktokers préférés, les lecteurs vont se sentir proche d'eux et vont apprendre à les connaître au-delà de leurs lectures. C'est pourquoi, les Booktokers doivent conserver ce lien de proximité en répondant aux commentaires et messages privés.

Désormais, les lecteurs ne sont plus simplement des partenaires, mais participent activement à la communication des maisons d'édition en tant qu'ambassadeurs de leurs marques comme de leurs concours d'écriture. En effet, au-delà de faire des avis littéraires, les Booktokers font la promotion de la maison d'édition sans concertation et de manière très spontanée. Pour une maison d'édition, il est impossible de communiquer sur tous les ouvrages et les Booktokers pallient à ce manque. On peut voir sur TikTok des vidéos de Booktokers sur les sorties à venir, sur les nouvelles actualités du monde l'édition, sur les soirées presse, etc. Ils vont même parfois plus loin et réalisent des vidéos dans les locaux des maisons d'édition avec les employés.

Jalousie, hypocrisie, harcèlement, plagiat..., loin d'être une communauté bienveillante comme le démontrent les médias, depuis l'arrivée des maisons d'édition sur Booktok, les jalousies naissent entre ceux qui ont des partenariats, tandis que d'autres peuvent se sentir écartés. Avec l'arrivée de plus en plus massif de nouveaux comptes, il est de plus en plus difficile de se faire une place : une certaine pression naît chez certains pour faire toujours mieux. Et la rivalité s'installe également entre les plateformes, puisque les Booktubers et Bookstagrammers peuvent avoir la sensation d'être délaissés par les maisons d'édition.   

Qu'en est-il dans la réalité ? Les partenariats évoluent avec les nouvelles tendances et les besoins des maisons d'édition. A une époque, les blogs étaient en vogue mais perdent en puissance. Les Booktokers ne sont pas forcément privilégiés en fonction des maisons d'édition. Certaines continuent de travailler majoritairement avec des lecteurs des autres plateformes. Les chroniques étant plus courtes sur TikTok et les statistiques aléatoires, la sélection de Booktokers nécessite de revoir les critères de sélection. De plus, le nombre d'abonnés ne veut pas forcément dire savoir faire une chronique constructive d'un livre.  

Le revers de la médaille de la plateforme :

Booktok fait face aux critiques, notamment dans les médias, sur la qualité des contenus créés.

« #Booktok pêcherait en revanche, à l’instar de TikTok en général, dans la transmission d’informations complexes. Du sensationnel, immédiat, sans rationalisation, le tout en quelques secondes : ou comment produire de l'abrutissement de masses, non ? »*

On peut le voir dans plusieurs articles, que pour certains, Booktok ne représente qu'un divertissement et fait passer les abonnés pour des abrutis. Il est vrai qu'il suffit de montrer quelques secondes un livre et dire "j'ai aimé" pour susciter l'achat. Les avis ne sont pas toujours constructifs, ni détaillés et ne peuvent pas tous être considérés comme des critiques. Mais la plateforme n'est pas moins légitime pour parler littérature et permet de créer de la conversation autour du livre.

En effet, malgré les critiques, la plateforme fait vendre. Le contenu ne plaît peut-être pas aux élitistes, mais cette nouvelle manière de créer du contenu permet de donner envie à des jeunes d'ouvrir un livre. Alors que certains ne lisaient pas avant de découvrir Booktok, c'est une victoire que de les voir se plonger dans un ouvrage et pour certains, une vraie passion est née avec cet hashtag. De plus, cette communauté permet de démontrer aux jeunes, que la littérature ne renferme pas seulement des classiques, comme on peut le découvrir à l'école, mais des livres contemporains de tous genres confondus et de mettre en lumière certains genres jugés tabous comme la romance.

Par conséquent, sur Booktok, est-il réellement nécessaire de faire des critiques longues et détaillées pour promouvoir un livre ?

Prise de parole sur Booktok : des lecteurs engagés :

Ces critiques décrédibilisent les lecteurs mais mettent de côté, leur engagement. En effet, cette communauté n'hésite pas à dénoncer. Certains Booktokers mettent en garde les lecteurs sur leurs lectures, notamment quand il est question de dark romance avec des scènes qui ne sont pas à destination de tous publics. Avec Booktok, on voit de nombreux jeunes de 12 ans à peine lire des livres qui ne sont pas pour eux, c'est le cas de la dark romance et de Captive de Sarah Rivens, qui a fait beaucoup parler sur la plateforme. Les Booktokers n'hésitent pas à dénoncer les maisons d'édition sur le manque de prévention ou l'envoi de ces livres à des partenaires mineurs. Mais ils dénoncent également leurs collègues influenceurs, qui n'émettent aucun avertissement dans leurs vidéos et donnent leurs avis sans soulever ces problématiques.

En tant qu'ambassadeur de la maison d'édition, les Booktokers n'ont-ils pas un rôle à jouer sur ces questions ? Sont-ils aussi responsables que la maison d'édition lorsqu'ils n'abordent pas ces problématiques ?

Perte de confiance et manque d'authenticité : les conséquences : 

Les Booktokers ont une place à part entière dans certaines campagnes de communication des maisons d'édition et j'ai vu pu voir sur les réseaux sociaux, certains questionner l'authenticité des avis des Booktokers. En effet, certains lecteurs perdent la confiance qu'ils avaient placé dans les Booktokers car ils ne prennent plus pour argent comptant leurs avis. Selon eux, certains Booktokers ne semblent plus totalement honnêtes dans leurs avis dans le but de ne pas perdre de partenariats et de rester proche des auteurs et autrices rencontrés en salon ou lors d'événements presse. Pourtant en tant que partenaire, les lecteurs peuvent être honnêtes dans leurs avis tant que celui-ci est constructif.

Malgré tout, on sent bien que Booktok n'est plus un lieu de discussions entre amis mais aujourd'hui, les Booktokers y font la promotion de livres pour les vendre tels des commerciaux. Est-ce que Booktok n'aurait pas été corrompu par les partenariats ?

Que retenir de cet article ?

Nous avons abordé de nombreux sujets au cours de cet article et il ne faut en aucun cas en faire des généralités puisque tout est dépendant des maisons d'édition et des personnes. 

Aujourd'hui, les maisons d'édition ne peuvent passer à côté de TikTok et de la possible visibilité que la plateforme peut leur apporter pour leur communication. Les lecteurs dépassent leur statut et deviennent aujourd'hui des ambassadeurs de ces maisons d'édition et les représentent à travers des événements et leurs contenus. 

Je pense qu'à la fin de cet article, on ne peut que se demander si Booktok n'est pas finalement un effet de mode, qui va perdre de l'ampleur comme Booktube ou Bookstagram. Je suis curieuse de découvrir la prochaine plateforme qui émergera. 

Même si Booktok n'est pas un phénomène nouveau, il a eu un impact sur le monde l'édition, et notamment la mise en avant du genre de la romance et de la littérature jeunesse. Booktok est soumis aux critiques, certaines fondées tandis que d'autres non, mais il est clair que comme toute communauté, celle-ci a du bon comme du mauvais. Et malgré tout, le plus important, n'est-ce pas la passion pour la littérature ?

Et si vous souhaitez en savoir plus sur la question, découvrez le documentaire de Jeannot se livre !

Calypso

*  TikTok et la littérature : un beau roman, une belle histoire » sur France Culture de Matteu Maestracci : https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/reportage-tiktok-et-la-litterature-un-beau-roman-une-belle-histoire_5649488.html (publié le 12/02/2023 et consulté le 28/03/2023)

* « Comment les plus grands éditeurs communiquent-ils sur les réseaux sociaux ? » sur Pellerin Formation : https://www.pellerinformation.com/comment-les-plus-grands-editeurs-communiquent-ils-sur-les-reseaux-sociaux/ (consulté le 10/10/2022)

* « Comment TikTok a transformé l’industrie du livre ? » sur Actualitté : https://actualitte.com/article/107333/edition/comment-tiktok-atransforme-l-industrie-du-livre (publié le 08/08/2022 et consulté le 27/09/2022)